Les caméras piétons, un outil en vogue encore mal encadré
Supposées réduire les incivilités entre la population et les forces de l’ordre, les caméras piétons se généralisent, suscitant l’inquiétude de la CNIL et du Défenseur des droits.
Filmer les échanges entre les forces de l’ordre et la population afin de diminuer les tensions et les incivilités. Voilà l’objectif des caméras piétons ou « caméra boutonnières », fixées sur les vestes des agents grâce à un clip ou un harnais. Elles sont activées lors d’une interpellation compliquée ou lorsque le ton monte.
Après une expérimentation menée en 2013 dans plusieurs ZSP*, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait annoncé en 2015 leur généralisation avec la livraison de 4 500 dispositifs pour la police d’ici 2019. En plein boom, elles sont utilisées par la police nationale, mais également par des agents de sécurité privée, la gendarmerie nationale et certaines polices municipales.
Et cela marche, selon Jean Maresciano, chef de la police municipale de Rillieux-la-Pape (métropole de Lyon), pionnière dans ce domaine. Interrogé par la « Gazette des Communes », il constate que les douze caméras équipant ses 20 agents ont permis une baisse de 70% des incivilités à leur encontre.
Un flou juridique
Face au flou juridique dans lequel cet outil fleurissait en France, la CNIL** a émis en 2015 un avis réclamant un encadrement légal. Car le Code de la sécurité intérieure (CSI) régulant uniquement l’usage des caméras fixes, ce dispositif soulèverait « de nombreuses questions en matière de respect des libertés individuelles ».
Première difficulté : la possibilité de « filmer des zones privées [lors d’une opération], (…) qui pourrait porter atteinte à l’intimité des personnes concernées ».
En outre, « il faut s’assurer que les personnes filmées sont pleinement conscientes de l’enregistrement dont elles font l’objet » et donc de leurs droits en la matière.
Enfin, les caméras piétons sont fréquemment dotées de microphones, une disposition qui n’est pas prévue par le CSI.
Des textes jugés insuffisants
En mars et en juin 2016, deux lois ont été votées, encadrant l’usage des caméras boutonnières par la SNCF, la RATP, la police et la gendarmerie nationales ainsi que la police municipale. Conformément aux avis de la CNIL, les textes prévoient l’exploitation des vidéos à la condition qu’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire le nécessite.
L’utilisation des caméras est possible dans l’espace privé.
Néanmoins, les citoyens filmés ne pourront accéder à ces images qu’après avoir obtenu l’autorisation d’un magistrat, alors que pour tous les autres dispositifs de vidéosurveillance, ils disposent d’un accès direct aux données.
En outre, l’utilisation des caméras est possible « en tout lieu », sans disposition particulière pour l’espace privé.
Comme la CNIL, le Défenseur des droits s’est inquiété de certains manques législatifs en janvier dernier. Ainsi, si la loi permet autant aux agents qu’aux individus de demander le déclenchement de l’enregistrement, Jacques Toubon, l’actuel Défenseur, s’interroge sur la possibilité pour ces derniers d’exercer réellement ce droit (à supposer qu’ils en aient connaissance). Il préconise également « qu’un procès-verbal ou récépissé précisant la date et l’heure du début et de la fin de l’enregistrement soit remis à la personne interpellée ».
Le législateur a encore du travail.
Félicité de Maupeou
* Zone de sécurité prioritaire.
** Commission nationale de l’informatique et des libertés.