Refaire de la politique la garante de l’intérêt général
L’intérêt général n’a pas disparu. Pourtant sa perception est brouillée par la montée en puissance de l’individu, mais aussi par l’incompétence des politiques à articuler l’individuel et le collectif.
On relève une perte du souci de l’intérêt général. Qu’en pensez-vous ?
Ce constat paraît juste même s’il est difficile à qualifier. Le sentiment, fondé, de baisse de l’intérêt général s’explique tout d’abord par la difficulté à le définir. Cela a toujours été compliqué. Mais nous avions auparavant des priorités, comme la menace pesant sur le pays lors de la guerre froide, qui donnaient plus clairement une idée de ce que recouvrait cette notion. En outre, l’individualisation de la société crée un brouillage de l’intérêt général. Il n’y a pas si longtemps, la citoyenneté se définissait par la capacité à s’élever au-dessus des intérêts particuliers. Aujourd’hui, les individus ont spontanément une préoccupation plus forte à se mettre au premier plan. Pour autant, la perception de l’intérêt général n’a pas disparu. La preuve, les citoyens critiquent le fait que leurs représentants l’aient perdue !
Comment expliquer ce brouillage de la perception de l’intérêt général ?
Les individus ont gagné en capacité d’action, les groupes divers défendent haut et fort leur pré carré, créant une véritable cacophonie dans laquelle il est difficile de discerner l’intérêt général. Du côté des parlementaires, de puissants lobbys assiègent le législateur, lui rendant plus difficile la définition de l’intérêt général.
Nous vivons aujourd’hui une accélération du repli sur soi.
L’individualisme arrive avec la naissance de l’individu moderne. Nous vivons aujourd’hui une accélération de ce repli sur soi, à l’origine d’une inversion du rapport entre l’individu et la société. Auparavant, l’individu se définissait par son appartenance à la société. Aujourd’hui, il se définit comme le point de départ à partir duquel se construit la société. Avant, l’intérêt public prévalait sur l’intérêt privé ; aujourd’hui la chose publique doit composer avec les intérêts personnels. Cela complique la tâche du politique, qui doit réarticuler le collectif et l’individuel.
Quelles solutions préconisez-vous pour repenser le collectif ?
Cette crise est l’occasion d’une refondation. Elle interpelle personnels politiques et institutions, démunis face au défi de définir l’intérêt général. Tout semble se décider à l’Elysée. Il est temps de remettre au centre la délibération parlementaire comme lieu de la construction de l’intérêt général. Le rééquilibrage du collectif et de l’individuel passe également par une nouvelle manière de faire de la politique. L’homme politique est lui-même individualisé, il a oublié le sens du collectif. Les partis ne réfléchissent plus aux enjeux sociétaux, mais sont devenus des machines de conquêtes électorales. Le fonctionnement du gouvernement doit aussi être profondément rénové, avec des ministres nommés selon leurs compétences plutôt que sur des critères de représentativité. Cela éviterait qu’ils deviennent les jouets d’intérêts particuliers et soient incapables de réaliser un arbitrage pour distinguer l’intérêt général. Cela vaut aussi du côté des parlementaires dont la méconnaissance des sujets et le manque de travail les empêchent d’avoir une vision au-dessus des partis. Au lieu de « déprofessionnaliser » la politique, comme certains le réclament, je crois qu’il faut la « reprofessionnaliser » pour qu’elle redevienne la garante de l’intérêt général.
Propos recueillis par Félicité de Maupeou