L’incivisme, une notion fourre-tout à manier avec précaution

Etre civique suppose de respecter les lois et règles communes à une collectivité nationale. Cela réclame également d’être conscient de ses devoirs envers la société. Tout individu qui s’en exonère par des actes d’irrespect à l’égard d’autres citoyens ou par la dégradation de bâtiments et d’espaces publics commet des actes d’incivilité**. Parmi les nombreuses manifestations de l’incivilité, certaines sont répréhensibles pénalement, d’autres, comme les comportements déviants (tels que cracher dans les lieux publics), ne sont pas punies par la loi. Ces derniers sont une forme « plus impalpable des incivilités, celle d’un manque de savoir-vivre dans l’espace public », explique maître Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris.

Plus globalement, certains intègrent le respect des mœurs de la communauté nationale dans la notion de civisme. Ainsi Claude Habib, universitaire et coauteur de « Malaise dans la civilité ? » (1) considère que « les mœurs et les manières sont, avec les lois, les marqueurs et le visage d’une société ». Leur respect conditionne donc l’attachement à la communauté nationale.

Une notion variable et complexe

« Dans quelle mesure les normes du vivre-ensemble sont-elles partagées ou traversées par des différenciations sociales ? », interroge Laurence Dumoulin, politiste et chercheuse au CNRS. En effet, les normes de politesse sont socialement fixées. Certaines peuvent donc être différentes d’une couche sociale à l’autre ou d’une origine culturelle à l’autre. Ainsi un comportement peut-être perçu comme agressif par certains, alors qu’il ne l’est pas pour d’autres.

En outre, la perception de l’incivisme évolue selon les époques : fumer dans un lieu public était parfaitement accepté il y a quelques années. « Si les manières de manifester le respect et de montrer des égards se transforment, cela ne veut pas dire que le respect ou les égards disparaissent », relève Carole Gayet-Viaud, sociologue au CNRS.

Différents degrés d’incivisme

Autre difficulté : l’incivisme se présente selon des degrés variables, comme l’explique le philosophe Yves Michaud dans « Citoyenneté et loyauté » (2). Le premier degré se retrouve dans les « dégradations des biens publics ou privés, [la] débrouille, [les] petites fraudes aux prestations sociales, à la Sécurité sociale, à la TVA, aux obligations du code du travail… ». Autant de « manquements pas trop graves, mais répétés et répandus ».

Plus grave est l’incivisme se manifestant par l’« usage personnalisé et égoïste des droits sociaux » comme par exemple, les citoyens qui « se précipitent aux urgences des hôpitaux pour tout et n’importe quoi », exigeant une prise en charge immédiate ou un traitement adapté à leurs convictions religieuses.

Enfin, l’incivisme atteint son plus haut degré, selon l’auteur, avec l’optimisation fiscale ou les allers-retours fructueux de hauts fonctionnaires entre leur corps d’origine, le secteur privé et des positions électives.

L’occasion pour Carole Gayet-Viaud de souligner que des « formes de mépris des règles de vie commune [existent] dans toutes les couches de la population ». Or, ajoute-t-elle, « la focalisation politique et médiatique sur les formes d’incivilités des jeunes et des catégories populaires donne une image déformée de la réalité ».

Félicité de Maupeou

(1) Aux éditions Tempus Essai, 2012.

(2) Aux éditions Kero, 2017.

Définitions

*Civisme « Attitude d’attachement à la communauté nationale et à ses institutions, et de participation régulière à ses activités, notamment par l’exercice du droit de vote. Priorité donnée par le citoyen aux intérêts de la nation sur ses intérêts particuliers. » (Larousse.fr)
**Civilité « Attitude de respect, à la fois à l’égard d’autres citoyens (ex. : politesse), mais aussi à l’égard de bâtiments et lieux de l’espace public (ex. : transports publics). » (Vie-publique.fr)