La difficile évaluation de l’incivisme
Entreprises, collectivités, services publics, le constat est quasiment unanime : l’incivisme irait grandissant. Néanmoins, on manque encore d’études scientifiques sur le sujet. Alors, réalité ou lieu commun ?
A la poste, les incivilités ou agressions physiques ont augmenté de 20% en un an (2012-2013) ; à la RATP, 85% des voyageurs se déclarent extrêmement ou vraiment gênés par les incivilités, notamment les conversations téléphoniques ; de leur côté, les gardiens et agents d’entretien d’immeubles HLM sont soumis à une multiplication des agressions verbales et des menaces…
Entreprises aériennes, agences bancaires, SNCF ou encore établissements de santé font un constat identique : le fameux vivre-ensemble se dégraderait.
Au sein même des entreprises, un salarié sur deux subit des incivilités de la part de ses collègues, retardataires, pendus au téléphone ou impolis, note le cabinet Eléas, spécialiste de la qualité de vie au travail.
Idem dans les collectivités locales, et pas seulement dans les grandes villes : Perrine Forzy, maire de Gamaches-en-Vexin, un village de 330 habitants situé dans l’Eure, à une heure de Paris, constate l’apparition « de détritus jetés depuis les voitures sur la voie publique ».
Cette crise du souci de l’intérêt général préoccupe de plus en plus les élus, comme le montre l’organisation, en mars 2016 par l’AMF, d’une réunion d’information sur la lutte contre l’incivisme.
Gare à l’amplification
« Véritables lieux communs », « nostalgie »… s’insurge Carole Gayet-Viaud, sociologue au CNRS et auteure de « Le lien civil en crise ? »*, qui regrette que « le phénomène [de hausse des incivilités], pourtant partout décrié, déclaré endémique et destructeur, reste remarquablement peu étudié. Il est aussi médiatisé et omniprésent sur la scène politique qu’il est méconnu et délaissé sur la scène scientifique ».
Il n’existe pas aujourd’hui d’étude complète sur la question, seulement des enquêtes partielles d’entreprises ou d’institutions, quelquefois biaisées.
Anne Wyvekens, directrice de recherche au CNRS et auteure d’une étude sur le sujet pour la CAF, critique « les statistiques existantes, qui prennent uniquement en compte les déclarations des agents de la CAF en omettant les plaintes des bénéficiaires ».
Un souci de l’intérêt général
Carole Gayet-Viaud a même observé, lors de deux enquêtes réalisées en 2008 et 2014 dans les espaces publics à Paris et en province, que les « gens sont et restent profondément attachés aux exigences de civilité [comme] le respect, l’entraide et la courtoisie ».
Des enquêtes partielles et quelquefois biaisées.
Le souci de l’intérêt général n’a pas disparu non plus : il ne passe par le vote que pour 3% des Français, mais pour 23% d’entre eux, il consiste à s’engager dans le milieu associatif ou dans le bénévolat, selon une étude Viavoice-Klésia datant de 2016 (lire page 8).
Mieux, 78% des Français considèrent que l’intérêt général est « insuffisamment pris en compte dans la société actuelle », et 58% souhaitent être « davantage impliqués » dans des actions utiles à celui-ci.
« Malgré la défiance envers le politique, il existe une perception de l’intérêt général et une volonté de s’y impliquer », conclue Jean-Philippe Moinet, directeur conseil de l’institut Viavoice.
Prudence, donc.
Félicité de Maupeou
*Editions Yapaka, 2014.