Comprendre les sources de l’incivisme pour y répondre
Résultat de l’individualisme forcené des citoyens ou de l’abandon de l’espace public par les institutions, l’incivisme occupe de plus en plus l’agenda politique des édiles locaux. Ils tentent d’y apporter des réponses, entre sanctions et prévention.
« Notre société est malade de la déresponsabilisation de ses citoyens », constate avec consternation Georges Mothron, maire d’Argenteuil (Val-d’Oise), en évoquant les dépôts sauvages d’ordures, les poubelles vidées par les fenêtres… Autant d’actes d’incivisme « qui n’existaient pas il y a dix ou quinze ans », poursuit-il.
En cause, selon l’édile de la troisième ville d’Ile-de-France, « le laisser-aller des habitants excessivement assistés par la collectivité, comme, par exemple, pour le maintien de la propreté de l’espace public ».
Dès le XIXe siècle, Tocqueville prédisait aux sociétés démocratiques ce désintérêt du bien public. Créatrices d’individualisme, elles encourageraient « chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ». En sommes-nous arrivés là ? Sans doute, selon le philosophe Dominique Lecourt*, qui perçoit une montée de l’« égoïsme d’indifférence qui ronge silencieusement les liens affectifs qui nous unissent ».
Répression et éducation
Que faire ? « La casse attire la casse : il faut donc intervenir immédiatement et multiplier les yeux et les oreilles, sans atteindre des coûts exorbitants », explique Georges Mothron, qui a adopté l’application mobile TellMyCity en juin 2016, permettant aux citoyens de signaler des anomalies. En six mois, 5 000 cas ont été enregistrés. Paris, Rennes, Cahors, Issy-les-Moulineaux, Arras ou encore Villepinte se sont aussi dotées d’outils semblables.
L’autre volet est l’éducation de la population. Une gageure pour Georges Mothron qui constate que les tracts et les campagnes d’affichage encourageant le civisme ont peu d’effet. Une bonne solution est le porte-à-porte, mais il est trop coûteux pour être généralisé.
Résultat, « nous sommes obligés de passer par les enfants, qui transmettront ensuite le message appris à l’école à leurs parents ».
L’Etat fautif ?
« Nous ne pouvons pas compter seulement sur la bonne éducation : l’Etat est chargé de mettre en place les conditions pratiques qui rendent possibles des relations pacifiées, affirme pour sa part la sociologue au CNRS Carole Gayet-Viaud. Or, depuis les années 1980, l’impératif d’économies budgétaires a obligé les institutions à déserter l’espace public. »
Exit les gardiens de square ou les concierges de HLM qui exerçaient un contrôle social informel. En Région Centre, au cours des six premiers mois de 2016, 225 cas d’incivilités et de violences dans le train ont été constatés, ce qui équivaut à une hausse de 15% par rapport au premier semestre 2015.
Certaines politiques créent de l’incivisme.
Selon les syndicats cheminots, elle serait due à la suppression des contrôleurs.
Certaines politiques institutionnelles susciteraient aussi l’incivisme, comme dans les CAF, où le temps alloué à répondre aux allocataires est limité à quelques minutes, ou encore à hôpital, où les accompagnants peinent à obtenir des informations de la part de médecins trop occupés pour les renseigner.
Idem du côté des entreprises, telles les banques, qui « commencent à reconnaître qu’elles produisent elles-mêmes une partie des incivilités », se félicite Carole Gayet-Viaud.
Félicité de Maupeou
* Auteur de « L’égoïsme », Dominique Lecourt, éditions Autrement, septembre 2015.