La fiscalité comportementale : un outil à manier avec précaution
Taxer les produits favorisant l’obésité, c’est augmenter leur prix et ainsi tenter de décourager l’achat. Si quelques fabriquants adaptent leurs ingrédients, certains secteurs sont affaiblis par la multiplication des taxes.
Aujourd’hui, l’huile de palme est moins taxée que l’huile d’olive, pourtant plus saine. Un exemple parmi d’autres de la déconnexion existant entre la fiscalité des produits de l’agroalimentaire et leur valeur nutritionnelle. Pourtant, depuis quelques années, une tendance à taxer les produits mis en cause dans le développement de l’obésité fait son chemin. Déjà en 2012, une contribution sur les boissons sucrées et édulcorées a été créée, suivie, en 2014, d’une taxe sur les boissons énergisantes. Au grand bonheur de nombreux nutritionnistes, qui voient dans ces mesures un moyen d’augmenter les prix des produits malsains et ainsi d’en décourager la consommation. Mais quelle est l’efficacité de ce nouvel instrument ? L’étude d’impact de la « taxe soda » de 2012 montre que les ménages français ont réduit leur consommation de seulement 6 centilitres par semaine, soit 3 calories par jour et par foyer, depuis son instauration. Autant dire que rien n’a changé. Car pour faire véritablement fléchir la consommation, il ne suffit pas de majorer le prix d’une canette d’à peine 3 centimes d’euros, comme l’a fait la « taxe soda ». Le prix doit augmenter d’au moins 20% pour que l’on puisse espérer des effets, comme l’avance le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP).
Le risque de fragiliser des secteurs économiques
Alourdir la fiscalité met en danger des secteurs économiques. Le sénateur René-Paul Savary (LR) s’en est inquiété en juillet dernier en s’élevant contre l’idée de taxer le sucre contenu dans tous les produits alimentaires, alors même que les cours de ce nutriment ont été divisés par deux depuis 2011.
La taxe sur les boissons énergisantes a fait baisser la teneur en caféine de ces produits.
« Est-il également astucieux d’ajouter de nouvelles taxes aux 21 qui pèsent déjà sur l’agroalimentaire ? », s’interrogent les députés Véronique Louwagie (LR) et Razzy Hammadi (PS) dans un rapport sur le sujet en juin dernier. Face à la complexité de leur application et au foisonnement fiscal déjà existant, ces derniers préconisent plutôt une « remise à plat de la fiscalité de l’agroalimentaire », avec la suppression de huit taxes. « Impossible d’enclencher un tel bouleversement en fin de mandat, explique néanmoins Véronique Louwagie, mais le fort soutien des industriels à cette proposition devrait inciter Bercy à remettre le sujet sur la table après les élections. » La tendance est donc davantage à la simplification de la fiscalité qu’à la multiplication des taxes.
Un moyen de peser sur la composition des produits
De son côté, Serge Hercberg, nutritionniste et pilote du PNNS (Programme national nutrition santé), n’en démord pas : « L’industrie agroalimentaire est coresponsable de l’obésité, sur laquelle des marges de manœuvre existent, notamment fiscales. » Augmenter la taxation des produits encourageant l’obésité inciterait les industriels à revoir la composition de leurs produits. Un mécanisme qui a fait ses preuves avec la taxe sur les boissons énergisantes. Instaurée en 2014, cette contribution n’a rapporté que 3 millions d’euros la même année – alors même que Bercy tablait sur 65 millions d’euros –, le principal fabricant ayant abaissé la teneur en caféine de sa boisson en dessous du taux d’assujettissement à la taxe. Le débat reste ouvert.