La lourde responsabilité des politiques publiques
L’obésité serait la conséquence de la malbouffe importée des Etats-Unis et du laisser-aller des habitants des pays riches ? Cette explication qui a longtemps prévalu, est aujourd’hui dépassée : certaines politiques publiques sont en cause.
La recherche des causes de l’obésité est un champ foisonnant car cette maladie multifactorielle s’avère plus complexe que prévu. Ainsi les raisons génétiques, encore peu connues, sont aujourd’hui davantage mises en avant par les scientifiques. La génétique détermine, par exemple, notre métabolisme, c’est-à-dire la quantité d’énergie dépensée par notre organisme au repos, qui est très inégale d’une personne à l’autre. L’hypothèse d’une influence de la pollution dans l’explosion de ce mal fait aussi son chemin.
L’obésité est le signe d’une société violent
L’explication est aussi sociologique, puisque « la société d’abondance dans laquelle nous vivons a complètement changé notre rapport à la nourriture : normalement associée à la faim ou au plaisir, elle est devenue chez beaucoup un bien de consommation ingéré mécaniquement devant la télévision », décrit le professeur Monique Romon, nutritionniste au CHU de Lille et présidente de la Société française de nutrition (SFN).
La crise économique, un facteur manifeste
« L’obésité est l’un des dégâts collatéraux de la crise financière, de la montée du chômage et de la précarisation de l’emploi », affirme, quant à elle, Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO). Le lien entre la difficulté des conditions de travail (stress, travail de nuit, contrats précaires…) et l’obésité est en effet un sujet de recherche sur lequel travaillent de plus en plus de spécialistes. La politique de santé est aussi concernée, certains territoires étant devenus des déserts médicaux. Or la faible accessibilité des soins est un autre facteur favorisant l’obésité : « les personnes arrivent souvent trop tard chez le médecin », s’alarme Monique Romon. Quant à « l’implantation commerciale, [elle] est très inégale dans notre pays, avec une offre en hard-discount et en fast-foods concentrée dans les quartiers défavorisés, où le bio est, au contraire, pratiquement absent », souligne Virginie Chasles, géographe spécialiste de la santé et maître de conférences à l’université Jean Moulin à Lyon.
Une politique d’aménagement coupable
Les politiques d’aménagement du territoire des pays riches seraient également en cause. Comme le démontre l’étude de chercheurs suisses publiée en janvier 2016, qui révèle une carte de Lausanne où les habitants en surpoids sont concentrés dans l’ouest et au nord de la ville. Sans surprise, il s’agit des quartiers populaires, et les différences de revenus, d’éducation, d’âge et d’hygiène de vie expliquent à première vue cette disparité. Mais Stéphane Joost, chercheur à l’école polytechnique fédérale de Lausanne et co-auteur de l’étude, explique avoir ôté de ses calculs « l’effet des facteurs sociaux usuels sur l’IMC grâce à une méthode statistique ». Il a ainsi pu produire une nouvelle carte et à la grande surprise des scientifiques, la répartition est restée la même ! « Le phénomène géographique subsiste malgré l’ajustement », explique Idris Guessous, co-auteur de l’étude et médecin épidémiologiste au Centre hospitalier universitaire vaudois. Selon lui, ce résultat corrobore l’idée d’une interaction entre obésité et environnement urbain : pourcentage de béton, d’espaces verts, mais aussi organisation de l’espace et architecture seraient des facteurs non négligeables. Encore émergent, ce sujet de recherche est peu développé en France, mais plusieurs études sont déjà parues aux Etats-Unis. Elles montrent qu’un espace compartimenté, cloisonné et entrecoupé d’axes routiers et ferroviaires, encouragerait la sédentarité et donc, l’obésité.
Dans l’Hexagone, on constate en effet une surreprésentation de cette maladie dans les zones urbaines sensibles (ZUS) où, selon le rapport 2014 de l’ONPV, les habitants sont plus fréquemment en surpoids (+ 6,3 points) ou obèses (+ 3,1 points) que dans les autres quartiers. Une différence liée à des « difficultés financières et d’accessibilité géographique aux soins », mais, pourquoi pas aussi, dans certains cas, à l’urbanisme local des grands ensembles ? L’équipe de recherche suisse s’est également penchée sur la responsabilité de l’environnement humain : avoir dans son voisinage des personnes obèses augmenterait les risques de le devenir, par effet de mimétisme des comportements alimentaires ou du degré d’activité physique.
Une société qui exclut les plus fragiles
« Plus profondément, l’obésité est le signe d’une société violente – physiquement, mais aussi symboliquement et verbalement – où règne un climat qui fragilise les plus faibles », affirme Anne-Sophie Joly, présidente du CNAO. Une enquête réalisée en novembre dernier par OpinionWay pour le laboratoire d’idées Vers le haut et le quotidien « La Croix », montre que plus de huit jeunes sur dix jugent la société violente, avant tout verbalement. Sept sur dix considèrent qu’elle l’est plus que par le passé. Enfin, Internet et les réseaux sociaux en sont les principaux vecteurs pour 40% des 16-26 ans interrogés. « Dans ce climat, la nourriture est souvent utilisée comme antidépresseur », explique Anne-Sophie Joly.