Interview croisée
Quelles sont les tendances structurelles qui pèsent sur l’équilibre du monde HLM ?
Régis Bigot : Les inégalités varient fortement en fonction du statut d’occupation du logement. C’est pour les locataires du parc social que le niveau de vie s’est le plus dégradé ! On observe une nette paupérisation de cette catégorie de population, qui concentre de plus en plus de familles monoparentales, de personnes âgées vivant seules… Le niveau de vie des locataires du parc social est inférieur de 17% à celui des locataires du secteur libre et presque deux fois moindre que celui des propriétaires. Par ailleurs, on observe une concentration de la richesse dans certains quartiers et de la pauvreté dans d’autres, ce qui crée des îlots pour les riches et des ghettos pour les pauvres. Le phénomène est flagrant dans les grandes agglomérations comme Paris ou Lille-Roubaix. Ces ségrégations territoriales ne facilitent pas le « vivre ensemble » et la cohésion sociale. Les trois quarts des Français estiment que le repli communautaire est en grande partie responsable de son effritement.
Avez-vous identifié une tendance sociétale porteuse d’espoir ?
R B : Oui. Sous l’impulsion d’Internet, on a vu apparaître, ces dernières années, une multiplication des possibilités de collaboration et de nouvelles formes de participation citoyenne. On passe progressivement d’une logique « top down », où la décision vient d’en haut, à une logique « bottom up », où l’on part plutôt du bas du terrain pour faire émerger de nouveaux axes de travail. On constate aussi l’apparition d’un mode de fonctionnement plus horizontal, avec davantage de concertation, de coopération et de collaboration. La notion de consultation est de plus en plus importante, en amont de la prise de décision. A un moment où la défiance envers les institutions est particulièrement marquée et où la mixité sociale fait de plus en plus défaut dans les quartiers, ces nouvelles formes de collaboration peuvent contribuer à recréer du lien. Les bailleurs sociaux, qui sont sur le terrain, peuvent ainsi mettre en place, au niveau local, des projets qui permettent, grâce à des principes collaboratifs, de faire émerger de nouvelles formes de participation citoyenne et, in fine, de mieux vivre ensemble.
Comment les ESH intègrent-elles le développement durable dans leur politique ?
Valérie Fournier : Les économies d’énergie sont l’une de nos priorités. En ce qui concerne le parc existant, 35% des travaux engagés l’an dernier ont porté sur des actions de réhabilitation thermique. Par ailleurs, plus de 70% des logements sociaux construits en 2015 étaient des bâtiments à basse consommation répondant à la réglementation thermique 2012.
Quelles sont les incidences de ces engagements pour les occupants du parc social ?
V F : Le coût de fonctionnement d’un logement découle, à 90%, de la manière dont il a été conçu et produit et seulement à 10% de l’usage qui en est fait. Il est donc primordial de surinvestir en amont, dès la construction, pour pouvoir ensuite maîtriser les charges locatives. C’est dans cette optique que nous travaillons sur le bâtiment autonome [15% des programmes neufs intègrent des énergies renouvelables, comme des panneaux photovoltaïques] et sur le bâtiment connecté.
A quelles autres évolutions les bailleurs sociaux sont-ils confrontés ?
V F : La gestion sociale devient un élément de plus en plus central de leur métier. Le rôle des ESH ne consiste plus seulement à fournir un logement. Il leur faut aller plus loin, en procurant aussi les services associés. Elles deviennent des têtes de réseau qui connectent les différents guichets entre eux, par exemple, en matière d’emploi. Elles permettent de sécuriser les parcours de vie, de renforcer la cohésion sociale et assurent la pérennité des services publics dans les territoires.
* Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.
**ESH : Entreprises sociales pour l’habitat