Un réservoir d’idées pour les services publics
Les services collaboratifs permettent de mobiliser les citoyens autour d’initiatives qui peuvent compenser les faiblesses du service public. Reste à dépasser les réticences d’élus qui connaissent encore mal le potentiel de cette économie du partage.
Ecartelés entre une ubérisation qui fait peur et une économie sociale et solidaire aux contours indéfinis, les pratiques et services collaboratifs peinent à trouver une juste place dans les territoires. Pourtant, l’économie collaborative « représente un réservoir d’innovations dans lequel les pouvoirs publics peuvent puiser pour renouveler leurs services publics », assure Damien Demailly chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales), chargé du projet de recherche PICO (Pionniers du collaboratif). En donnant une nouvelle vie à des objets du quotidien via les plateformes de vente ou de don, l’économie collaborative contribue à réduire les déchets et propose une alternative à la mise en décharge. De même, en offrant de nouvelles solutions de mobilité, elle apporte des réponses aux problèmes de déplacements des personnes, en particulier dans les territoires souvent mal desservis par les transports publics. Sans oublier les circuits courts, qui permettent de rapprocher consommateurs et producteurs locaux.
S’appuyer sur la mobilisation des citoyens
Les initiatives commencent à se multiplier ici et là. Il faut désormais les faire connaître et surtout, favoriser le partage des bonnes pratiques. Le think tank OuiShare réfléchit à la création d’une « boîte à outils » pour territoire collaboratif (une Collaborative Territories Toolkit ou CTT), destinée aux responsables politiques locaux et territoriaux qui désirent mettre en place des initiatives locales, et ainsi contribuer à leur succès. Dans son rapport sur le sujet, le député Pascal Terrasse (lire page 11) préconise de promouvoir des territoires collaboratifs expérimentaux. Le gouvernement l’a entendu. Un appel à projets sera lancé en 2017, avec pour objectif de favoriser les « initiatives qui visent à renforcer la formation des acteurs collaboratifs locaux, l’émergence de nouvelles plateformes et espaces de coworking, ainsi qu’à mettre en place des outils locaux de partage de biens et de services ». L’appel à projets sera doté de 30 millions d’euros (20 millions de moins que prévu), dont au moins la moitié fléchée sur les territoires ruraux, selon les précisions apportées par le ministère de l’Economie et des Finances (JO Sénat du 22/09/2016).
Bientôt une « boîte à outils » pour territoire collaboratif.
Un autre appel à projets (ouvert jusqu’au 31 décembre 2016) pourrait intéresser les initiatives collaboratives : France Expérimentation donne la possibilité aux porteurs d’idées innovantes de solliciter, à titre expérimental, des dérogations temporaires à certaines dispositions règlementaires, afin de tester leur nouveau service ou produit. Mais au-delà des différents dispositifs favorables à l’épanouissement d’une économie collaborative qui rapproche les acteurs du territoire, il faut aussi des lieux de partage et d’échanges. « Les plateformes en ligne ne suffisent pas, les citoyens-entrepreneurs ont besoin d’endroits où se retrouver et travailler ensemble », insiste Antonin Léonard de OuiShare. Les espaces de coworking, les fab labs (laboratoires de fabrication) ont donc vocation à se développer sous l’impulsion des collectivités locales prêtes à se mobiliser pour devenir des sharing cities, sur le modèle de Séoul, la capitale sud-coréenne. Enfin, avec le décret n° 2015-1670 du 16 décembre 2015, les collectivités peuvent désormais faire appel au financement participatif pour réaliser des projets culturels, éducatifs, sociaux ou solidaires (lire page 30). Au-delà de l’effet levier pour financer un projet, c’est aussi la possibilité pour elles de mobiliser une communauté de citoyens autour de leur réalisation.
MIEUX DEVELOPPER LES PARTENARIATS
« Les porteurs de projet collaboratif et les pouvoirs publics ont des difficultés à nouer des partenariats », souligne le projet PICO (Pionniers du collaboratif), coordonné par l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Parmi ces freins, quatre dominent.
Le fonctionnement en silos des pouvoirs publics Les acteurs publics en charge de l’environnement ou du développement durable, faute de connaissances ou de culture numériques, s’intéressent peu aux nouvelles initiatives (comme, par exemple, les ressourceries, pour le traitement des déchets) et se concentrent sur des acteurs traditionnels.
La concurrence avec les acteurs traditionnels Les plateformes collaboratives qui contribuent au développement du marché du réemploi sont aussi en concurrence avec des acteurs coutumiers comme Emmaüs, qui agissent en coopération avec les pouvoirs publics à travers leur mission sociale d’insertion des personnes exclues du monde du travail.
L’incertitude sur la pérennité financière des porteurs de projet Il s’agit en général de start-up sans assise financière. La solution pourrait passer, suggèrent les experts de l’Iddri, par la création de partenariats entre jeunes pousses et acteurs « installés ».
Des valeurs à géométrie variable Si au démarrage, les porteurs de projet mettent en avant des valeurs liées à leurs objectifs environnementaux et sociaux, qu’en sera-t-il s’ils optent, en phase de développement, pour un modèle de revenus privés, plus rentable ?
La stratégie publique de Séoul, un modèle à suivre Exemple même de la sharing city, analyse le PICO, « Séoul puise dans le réservoir d’innovateurs qui se cachent sous le concept d’économie collaborative pour trouver des réponses innovantes à des enjeux collectifs. La ville sud-coréenne identifie ces enjeux (économie circulaire, mobilité, logement…) et invite les acteurs de l’économie collaborative à les résoudre, en partenariat avec elle ».