La carte des vins se redessine peu à peu
Créatrice de 15% de la valeur de la production agricole française, la filière viticole est un secteur stratégique particulièrement sensible au changement climatique.
Nous buvons déjà un vin différent de celui de nos parents. Et pour cause ! En moins d’une trentaine d’années, le taux d’alcool dans nos bouteilles a augmenté de deux degrés. La raison ? L’augmentation des températures, qui a avancé les vendanges de deux à trois semaines depuis 1960. La maturation se fait donc dans des conditions plus chaudes, le raisin est dès lors plus sucré et le vin davantage alcoolisé. Une aubaine pour le Bordelais ou la Bourgogne, où l’on compte aujourd’hui davantage de bons millésimes. Un problème pour le Sud, où certains vins s’approchent de la saturation alcoolique (14%). S’ajoutent à cela, la baisse de l’acidité des vins et le changement des arômes, à l’image des rouges bordelais passés d’arômes de fruits frais (mûre, framboise…) à ceux de fruits cuits (figue, cassis…) lors de la canicule de 2003.
Une force d’adaptation unique
Mais « depuis 8 000 ans, la viticulture a toujours su s’adapter », rappelle Jean-Robert Pitte, géographe. Citant le petit âge glaciaire (XVe siècle-XIXe siècle), il décrit les vignobles d’Europe du nord où la maturation difficile donnait des vins très acides et où la fermentation s’arrêtait aux premiers frimas : « Ces deux défauts sont à l’origine de la prise de mousse du champagne, imaginée par les Anglais, qui ajoutent au vin très vert du sucre de canne arrivé des Caraïbes et l’enferment dans des bouteilles bouchées dans lesquelles la deuxième fermentation crée un fort dégagement de gaz carbonique. »
En moins de trente ans, le taux d’alcool du vin a gagné 2°C.
La preuve que le changement climatique génère aussi des opportunités ! Face à cette nouvelle donne, les viticulteurs sont particulièrement proactifs. Ils enherbent des parcelles pour lutter contre l’évaporation et modifient leur technique de taille afin de produire plus de feuilles qui protégeront les raisins du soleil. Ou encore, comme en Languedoc, ils irriguent les rangs de vignes. Certains décident aussi de vendanger de nuit pour éviter des températures trop élevées, ou de corriger artificiellement la teneur en alcool ou en acide.
Créer des hybrides et déplacer les vignobles
Mais dans certains territoires, notamment dans le Sud, il faudra bientôt aller plus loin. Et changer de cépages. Le conservatoire de la coopérative Plaimont, dans le Gers, étudie 37 cépages locaux tombés en désuétude, qui pourraient s’avérer aujourd’hui plus adaptés. Le tannat, l’un des principaux cépages noirs de la région, sera bientôt trop fort pour le marché s’il continue à gagner des degrés. Il pourrait être remplacé par le manseng noir, dont 80 hectares seront plantés d’ici cinq à dix ans. L’INRA observe aussi les profils génétiques des cépages pour créer d’éventuelles variétés hybrides. Mais à long terme, le secteur n’échappera pas à un bouleversement de sa carte des vins : déjà des plantations se décalent vers les hauteurs, et des zones septentrionales se couvrent de vignobles. Comme en Angleterre, sur le domaine royal de Windsor, où la reine Elizabeth II a fait planter 16 000 ceps de pinot noir, pinot meunier et chardonnay !