Les nouveaux aléas climatiques incitent la défense française à s’engager
Le changement climatique exacerbe les risques de conflits extérieurs et les menaces intérieures. En France, militaires et les politiques tardent à prendre en compte ce nouvel enjeu.
« Loin derrière les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et surtout la Chine, la France est à la remorque sur l’intégration du changement climatique dans sa stratégie de défense », s’alarme Leila Aïchi, sénatrice et auteur du « Livre vert de la Défense » en 2013. « A l’époque, le concept de défense verte était difficile à porter, personne ne comprenait que je m’y intéresse. J’ai édité le “Livre vert” seule, sans l’appui des membres de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Trois ans de lobbying plus tard, nous publions un rapport sur le sujet, cette fois-ci avec deux autres parlementaires », raconte-t-elle. En quoi la défense française est-elle concernée par le changement climatique ?
Des zones d’influence française menacées
Amplificateur de conflits, le changement climatique touche de plein fouet plusieurs zones d’influence françaises, à l’image de la région du lac Tchad. Sa disparition d’ici vingt ou trente ans menace dès aujourd’hui l’équilibre économique de près de 20 millions de personnes qui en tirent leur subsistance, ainsi que la stabilité déjà précaire des pays qui en dépendent (le Cameroun, le Tchad, le Nigeria et le Niger). Sur le sol national, de tels bouleversements devraient amener, et amènent déjà, des migrations importantes. A l’échelle mondiale, d’ici 2050, l’ONU prévoit 250 millions réfugiés climatiques. Comment gérer ces flux alors que l’Europe est déjà dépassée par la gestion de la question migratoire ? François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste des migrations, précise que « la France est finalement peu concernée, ces migrations étant principalement internes aux pays touchés ». Autre enjeu pour la puissance géopolitique française : la menace qui pèse sur ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE), qui font de la France la deuxième puissance maritime mondiale. Comme le souligne un rapport du Sénat*, le trait de côte « recule sous l’effet de l’érosion ou de la montée du niveau de la mer », repoussant de fait la ZEE. Cela « risque d’introduire un facteur nouveau de revendication et de conflictualité », surtout dans des espaces stratégiques comme les zones de pêche ou celles dont le sous-sol pourrait renfermer des hydrocarbures.
Défense et écologie font-elles bon ménage ?
Ces enjeux émergent progressivement dans la stratégie de défense française. Chez les militaires, l’idée fait son chemin, notamment à la faveur de l’arrivée de Pierre de Villiers à la tête de l’état-major des armées en 2014. L’armée a ainsi lancé avant l’été un important appel d’offres pour un programme de recherche sur le changement climatique.
D’ici 2050, 250 millions de réfugiés climatiques.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a une vraie sensibilité à l’écologie chez les militaires, « proches de la nature, notamment les marins », constate Leila Aïchi. La sénatrice a œuvré au rapprochement de ces deux mondes qui s’ignoraient, alors même que la question écologique est un enjeu de long terme qui « correspond au temps long de la Défense », remarque Bastien Alex, chercheur sur le sujet à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Le dernier « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale » (2013) ne contenait cependant que quelques références timides au changement climatique. Et dans sa version initiale, la loi de programmation militaire 2013 n’y faisait même pas allusion. De son côté, la COP21 n’a pas mis le sujet sur la table des négociations. A noter cependant qu’en amont de la COP, en octobre 2015, une conférence internationale pilotée par Jean-Yves Le Drian sur le sujet a eu lieu avec les ministres de la Défense d’une trentaine de pays. Une première.
* « Climat : vers un dérèglement géopolitique ? », de Cédric Perrin, Leila Aïchi, Eliane Giraud. Rapport rédigé à la demande de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, octobre 2015.
UN CHANGEMENT DE RÔLE DES ARMÉES
Alors que les interventions de l’armée sur les zones de catastrophe naturelle en France et à l’étranger devraient croître, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) estime que nos « capacités militaires ne sont ni appropriées ni suffisantes pour intervenir de façon véritablement efficace ». Le tsunami en Asie du Sud-Est en 2004 « a montré combien il était difficile d’intervenir sur terre uniquement à partir des airs ou par des moyens maritimes ; de se déplacer sur des terrains où les voies de communication avaient été coupées ; d’acheminer en urgence des moyens sanitaires, d’épuration d’eau ou de fourniture d’électricité ». Certains s’interrogent sur le bien-fondé de cette nouvelle responsabilité, alors que la menace terroriste éprouve déjà les forces jusqu’à l’épuisement. Une telle mobilisation de l’armée, comme les 10 000 hommes prévus par le plan Neptune en cas d’inondations de Paris, est-elle réaliste ?