La géo-ingénierie, apprentis sorciers ou réelle alternative ?
En octobre 2012, un riche entrepreneur californien, Russ George, est surpris en flagrant délit de « fertilisation » de l’océan sur la côte ouest du Canada : il déverse 100 tonnes de fer en haute mer sur 10 000 kilomètres carrés, soit un peu plus que la taille de la Corse. L’objectif est de lutter contre le changement climatique d’une manière bien particulière : le fer provoque la prolifération du plancton, qui se nourrit de CO2 et le séquestre donc au fond des océans. Cette technique relève de la géo-ingénierie « dont le but est la manipulation délibérée et à grande échelle du système climatique visant à réduire les impacts du changement climatique », selon la définition du GIEC (voir p.9). Utilisée pendant la guerre du Vietnam, la manipulation du climat, aujourd’hui timidement interdite par l’ONU, apparaît dans des documents sur le changement climatique réalisés au cours des années 1980 aux Etats-Unis. Ceux-ci sont d’ailleurs à la pointe sur le sujet, contrairement à la France, qui a dû mobiliser une équipe de scientifiques pour se mettre à la page avant la COP21, l’année dernière.
Des conséquences imprévisibles
Pour contrer les rayons du soleil, la géo-ingénierie propose d’augmenter la brillance des nuages en y injectant des sels marins, de lâcher du soufre dans la stratosphère ou encore d’installer des miroirs en orbite à 1 500 000 kilomètres de la Terre. Avec quels risques ? Première difficulté, les dangers sont « imprévisibles et non quantifiables », selon l’Agence nationale de la recherche, car ils concernent tout le système naturel. Impossible, en outre, d’expérimenter puisque, pour être pertinents, les tests devraient s’appliquer à un territoire très grand et les conséquences seraient irréversibles.
Des pays d’Afrique et d’Asie s’intéressent à la géo-ingénierie.
Mais on sait d’ores et déjà que la fertilisation marine et la diffusion d’aérosols dans la stratosphère risquent respectivement de bouleverser les écosystèmes et les précipitations, tandis que les injections de soufre pourraient faire chuter les températures et acidifier les pluies… Si d’aventure ces « traitements » étaient appliqués, la hausse du carbone et des températures repartirait de plus belle en cas d’arrêt. Toutes ces expérimentations sont d’autant plus difficiles à assumer que rien ne prouve leur efficacité. « Vouloir ensemencer de fer les océans relève d’une vision très court termiste tant il est impossible d’aller contre la tendance millénaire de baisse de leur teneur en fer », relève ainsi Fabienne Trolard, directrice de recherches à l’INRA (voir p.9) et co-auteure d’un rapport sur le sujet.
Risques politiques
« La géo-ingénierie pourrait être une source de conflits », prévient également Bastien Alex, chercheur à l’IRIS (voir p.9), puisqu’un pays faisant le choix de cette méthode exposerait tous les autres à ses dangers. Si la géo-ingénierie est déjà défendue par certains entrepreneurs, comme Russ George, mais aussi Bill Gates ou Richard Branson, plusieurs états y réfléchissent également. Par exemple, « des pays d’Afrique ou d’Asie, très exposés au changement climatique et dont les gouvernants ne partagent pas forcément la vision européenne de l’environnement », prévient Fabienne Trolard. Idem pour les îles du Pacifique, particulièrement menacées par la montée des eaux. Et l’Europe n’y échappe pas. En 2011, le Royaume-Uni a lancé le projet SPICE visant à réduire la température moyenne de la terre grâce à l’injection de particules stratosphériques. L’expérimentation a finalement été annulée in extremis après une pétition de la société civile.