L’indifférence politique face à l’urgence
Malgré l’urgence, les politiques ne se sont toujours pas saisis de l’écologie. Méconnaissance du sujet, parti écologiste discrédité, pression des lobbys : les blocages sont encore nombreux.
« L’écologie n’est pas entrée en politique ! Le décalage est énorme entre les discours très alarmistes sur l’environnement et les mesures proposées, qui ne sont pas à la hauteur », tempête Dominique Bourg, philosophe et spécialiste de l’environnement. Quid alors de la COP21 et des accords de Paris ? « On y a davantage parlé de neutralité carbone que de baisse de notre consommation des énergies fossiles », poursuit le vice-président de la fondation Nicolas Hulot. Quand aux écologistes, « l’élite nationale des Verts a détruit l’écologie politique, elle s’est abîmée dans des querelles, intéressée davantage à sa carrière et à la défense des minorités qu’à l’environnement. Les Verts sont d’ailleurs discrédités et rejetés par les environnementalistes », constate le philosophe.
Seuls deux ou trois parlementaires se sentent concernés… sous l’angle économique.
Une politique de l’autruche
Hélène Le Téno, du cabinet de conseil en développement durable Auxilia, est ainsi frappée par le peu d’attention des parlementaires pour l’adaptation : « Seuls deux ou trois s’y intéressent, mais seulement sous l’angle du développement économique local. » Face à cette indifférence, Dominique Bourg propose une « sixième république écologique » qui installerait une troisième Chambre composée de personnalités engagées dans l’environnement, dotées d’un droit de veto contraignant le Parlement à réexaminer certains projets. Mais il ne se fait pas d’illusion. « Une réforme institutionnelle ne suffira pas : on n’avancera pas tant qu’on ne subira pas les effets violents du changement climatique : seule la pression de la réalité fera changer les choses. » Pourquoi une telle politique de l’autruche alors qu’il y a urgence ?
Un enjeu mal compris
D’abord parce que le changement climatique pose une difficulté anthropologique : pourquoi serais-je responsable d’une situation qui serait la même si je n’étais pas né ? En outre, on ne sait pas précisément quand, où, comment ces menaces se réaliseront. Qui sera concerné par la hausse des parasites dans les cultures ou la croissance des allergènes dues à l’augmentation des températures. Mais « ce sont surtout des lobbys puissants qui entretiennent la confusion et discréditent les scientifiques auprès des politiques », soutient notamment Olivier Godard, économiste et directeur de recherche honoraire au CNRS. Des politiques d’autant plus manipulables que le changement climatique est un enjeu complexe encore mal compris par les élus, qui sont toujours peu en lien avec le monde de la recherche. Elsa Richard, docteur en aménagement de l’espace et urbanisme, spécialiste de l’adaptation, déplore ainsi que « le lien entre nouveaux risques et changement climatique ne [soit] pas toujours fait par les élus. En Guadeloupe, par exemple, ils n’attribuent pas la disparition de la barrière de corail aux événements météorologiques extrêmes et au réchauffement des océans, mais à la pollution locale par une distillerie de l’île ». « La profonde inculture » des parlementaires sur le sujet s’explique par leurs formations, principalement littéraires ou en sciences humaines, qui les empêchent de prendre la mesure de la menace, pointe Dominique Bourg. « Ils sont imprégnés d’un paradigme extrêmement étroit selon lequel la technique pourra tout résoudre. L’idée de mettre une limite à l’action humaine n’est pas dans leur mode de réflexion ! »